Zola et le groupe de Médan by Alain Pagès

Auteur:Alain Pagès [Pagès, Alain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie, Histoire
Éditeur: PERRIN
Publié: 2014-01-14T23:00:00+00:00

La montée de Canteleu

À Croisset, la demeure de Flaubert, une gentilhommière datant du XVIIIe siècle, est située juste en face de la Seine. C’est une vaste habitation, qu’il est difficile de chauffer pendant l’hiver mais qui devient agréable lorsque arrivent les beaux jours. Des fenêtres du cabinet de travail, au premier étage, la beauté du paysage enchante tous les visiteurs. Le regard peut contempler, comme dans un tableau sans cesse recomposé, la lente coulée de la Seine et la progression des navires, descendant vers la mer ou remontant en direction de Rouen. D’autres fenêtres, à l’arrière de la pièce, s’ouvrent sur un jardin en pente, dont la végétation s’accroche aux chemins qui escaladent la côte de Canteleu, le petit village situé au-dessus de la demeure. Sur le devant, une large allée, bordée de tilleuls, conduit à un pavillon construit à l’extrémité de la propriété, le long des berges du fleuve.

C’est dans ce cadre que Flaubert est mort, le 8 mai 1880, emporté par une hémorragie cérébrale.

Une disparition brutale. Elle fait à Zola l’effet d’un « coup de foudre », comme il l’écrit à Maupassant en apprenant la nouvelle80. Rien ne la laissait présager, en effet. Quelques semaines plus tôt, à l’occasion du dimanche de Pâques, ils s’étaient tous rendus à Croisset par le train – lui, Daudet, Goncourt et Charpentier. Maupassant était venu les chercher à la gare de Rouen, et ils avaient ensuite festoyé, réunis autour de Flaubert. Un excellent dîner, d’après Goncourt, qui a retenu la saveur de la « sauce à la crème » accompagnant le turbot, « une merveille ». Ce soir-là, Flaubert était détendu. Il avait laissé de côté, pour quelques heures, la rédaction de Bouvard et Pécuchet. « On boit de beaucoup de vins de toutes sortes – se souvient Edmond de Goncourt –, et toute la soirée se passe à conter de grasses histoires, qui font éclater Flaubert en ces rires qui ont le pouffant des rires de l’enfance81. »

Flaubert ne fera plus résonner son rire d’enfant. Le « Vieux » s’en est allé…

Les obsèques ont été fixées au mardi 11 mai. Tous, ils prennent à nouveau le train pour Rouen. Goncourt et Charpentier sont arrivés la veille de la cérémonie. Zola, lui, est parti de Médan, le jour même. À Mantes, où il a attrapé l’express, il retrouve Daudet, en compagnie d’un groupe d’écrivains et de journalistes ; et ils font le voyage ensemble. À la gare de Rouen, des voitures les conduisent en direction de Croisset. Ils rejoignent le convoi funéraire au moment où celui-ci s’engage dans la montée de Canteleu pour gagner l’église où doivent être célébrées les obsèques religieuses. « Notre bon et grand Flaubert semblait venir à nous – écrit Zola –, couché dans son cercueil. Je le voyais encore à Croisset, sortant de sa maison et nous embrassant sur les deux joues, avec de gros baisers sonores. Et, maintenant, c’était une autre rencontre, la dernière82. »

Le convoi gravit lentement les lacets de la petite route qui mène à l’église.

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